école de parachutisme Arcachon
École de Parachutisme Sportif du Bassin d'Arcachon (EPSBA)

 

L'hypoxie d'altitude

Les parachutistes sportifs sautent habituellement en chute libre d'une altitude comprise entre 4000 et 4300 m. Ils aimeraient sauter de plus haut encore pour allonger le temps de chute. Malheureusement, le corps humain a des limites qu'il vaut mieux ne pas dépasser et les parachutistes sont des gens très prudents.

Le premier exemple est une vidéo datant de 2007 : Hypoxia: Skydiving at 21000 feet. Il s'agit d'un saut à 7000m où l'oxygène a manqué. Personne ne s'en est aperçu mais certains ont été plus touchés que d'autres. La fille qui est debout à la porte n'est pas plus consciente que les autres de la situation. Les commentaires en anglais du vidéoman (Ryan Hanold) sont nécessaires pour comprendre la gravité de la situation (utiliser le lien "Plus" pour les voir). Aucun parachutiste ne se souvient d'avoir sauté de l'avion.

Pour comprendre pourquoi, il faut lire le texte qui suit et qui est écrit par un médecin.

L'hypoxie n'est pas une amie

écriture dégradée

Les parachutistes sont généralement peu soucieux de l'effet de l'altitude sur l'effet de la fourniture de d'oxygène (O2) aux cellules de leur corps. Ils savent confusément que plus on monte, plus on en manque et que ce manque d'O2 au niveau cellulaire se nomme : hypoxie. Hypoxie, cela pourrait aussi bien être le prénom d'une gentille petite fifille ! Hé bien non, hypoxie est une grande, méchante et traîtresse. Cet article apprend à mieux s'en défendre.

Dans la pratique du parachutisme, le fait que l'on séjourne brièvement aux altitudes dangereuses ou critiques est effectivement un facteur d'atténuation, mais le fait que ces altitudes soient atteintes rapidement est un facteur aggravant.

Lorsque l'on teste les performances mentales de sujets en altitude, si un test de réaction très simple n'est perturbé que vers 5000 m, un test psychomoteur plus complexe est perturbé dès 3000 m. Quant aux possibilités d'apprentissage, elles sont perturbées dès 2500 m ce qui objective déjà la souffrance cérébrale. Sachant qu'il s'agit d'altitude au-dessus du niveau de la mer et non de hauteur au-dessus du terrain !

La figure 1, montre, à partir d'un exercice simple un résultat édifiant. À l'altitude de 7500 m, la consigne est d'écrire la succession des nombres décroissants depuis 1000. Dès la première minute le graphisme est perturbé. À la troisième minute il est incohérent et surtout : le sujet n'est pas conscient de la déformation de son écriture ni des erreurs qu'il commet.

Le danger de l'hypoxie tient au fait qu'aucun signe n'alarme le sujet.

Physiologie

L'échange gazeux alvéolaire

L'organisme puise l'O2 dont il a besoin dans l'atmosphère à la pression barométrique environnante. Les proportions respectives des gaz atmosphériques sont constantes quelle que soit l'altitude : 21% d'O2 et 78% d'azote. La concentration de gaz carbonique (CO2) est quasiment nulle, saut au sol.

Par le mouvement thoracique de l'inspiration, l'air atmosphérique arrive jusqu'à l'alvéole pulmonaire.

L'enrichissement du sang en O2 (figure 2) se fait au niveau de la paroi alvéolaire, interface poumon/sang, atmosphère/organisme.

Dans l'autre sens, le sang rejette le CO2, produit de déchet. Ce sont les pressions partielles des gaz de chaque côté de la paroi alvéolaire qui entraînent la diffusion du gaz dans un sens ou dans l'autre. Lorsque la pression atmosphérique diminue, la pression partielle de l'O2 dans l'air ambiante diminue, il passe une moins grande quantité d'O2 de l'alvéole dans le sang. Le taux de CO2, lui, reste inchangé : quasiment nul dans l'air, constant dans le sang. Ce fait est essentiel.

Car c'est l'augmentation du taux de CO2 dans le sang qui alerte l'organisme du danger d'asphyxie.

Dans l'hypoxie, le système d'alerte n'est donc pas sollicité. Pire même lorsque les désordres se produisent le sujet n'en a pas conscience.

capillaires

Le cœur et les gros vaisseaux sont étroitement entrelacés avec les voies aériennes (trachée et bronches), ce qui les rend difficile a schématiser, sauf par une figure très stylisée comme celle-ci.

Les bronches se terminent toutes par un minuscule groupement de sacs (les alvéoles) qui ressemble à une sorte de grappe ; à chaque inspiration l'air pénètre dans cet ensemble, remplaçant en partie l'air "usagé" dans l'alvéole par de l'air "frais".

L'oxygène diffuse depuis les alvéoles où sa pression est plus élevée vers le capillaire.

Le sang parvient au poumon, plus riche en gaz carbonique que l'alvéole, d'où un mouvement inverse vers cette dernière, ce qui accélère le transport d'oxygène en sens opposé.

L'échange se fait en une fraction de seconde, mais quand chaque élément du sang est passé au contact de l'alvéole, il a pris toute sa charge d'oxygène et s'est débarrassé de son gaz carbonique.

En altitude, où la pression partielle d'oxygène est plus basse dans l'air ambiant et donc dans l'alvéole, la diminution du passage d'oxygène ne diminue pas l'élimination du gaz carbonique.

 

Le transport d'O2 aux cellules

O2 dans le sang

L'O2 est transporté aux cellules de l'organisme en se fixant sur l'hémoglobine des globules rouge. À l'altitude 0, l'hémoglobine du sang artériel est saturée à 98% d'O2. Lorsque l'altitude augmente, que la pression atmosphérique diminue et donc que la pression partielle d'O2 diminue, la saturation de l'hémoglobine en O2 diminue. Mais selon une courbe très particulière qui explique bien la brutalité de la survenue des accidents. Cette courbe n'est pas une droite mais ressemble à la lettre "S" majuscule (figure 3).

De l'altitude 0 à 2500/3000 mètres environ la saturation de l'hémoglobine en O2 ne diminue que faiblement : c'est la partie supérieure à peine descendante du S. À partir de ce seuil, la saturation en O2 chute fortement pour s'effondrer brutalement : c'est la partie verticale du S.

Les désordres qu'entraîne l'hypoxie suivent la même courbe, ils ne préviennent pas. Ils surgissent brutalement et répétons-le : le sujet N'EN A PAS CONSCIENCE ! Il ne les sent pas venir, pire même quand ils sont là, il ne les sent même pas.

Chaque organisme a une plus ou moins grande compétence à bien saturer son hémoglobine. Cette compétence innée est par ailleurs fonction de l'âge, de l'hygiène de vie, de l'état général de la santé. Par exemple le fumeur sature une part de son hémoglobine par l'oxyde de carbone provenant de la combustion du tabac. On estime généralement qu'un fumeur de 20 cigarettes/jour se crée une hypoxie artérielle artificielle telle que :

  • au niveau de la mer c'est comme s'il était à 2500 m.
  • à 3000 m c'est comme s'il était à 4500 m.
  • à 6000 m c'est comme s'il était à 7000 m.

Pathologie

Rappelons que cette étude a pour but d'informer les parachutistes, non les montagnards. Les premiers atteignent les altitudes rapidement mais y séjournent peu de temps, les seconds montent lentement, ils s'acclimatent, mais séjournent longuement.

En ascension rapide, chez un sujet non acclimaté on observe quatre zones. Jusqu'à 1500 m une zone d'indifférence. De 1500 à 3000 environ l'organisme est perturbé mais compense complètement.

De 3000 à 5000 la compensation est complète. Au delà de 5000 on est en zone dangereuse et les crises deviennent pratiquement inéluctables passé 6000 m.

Dans les zones d'indifférence et de compensation complète l'augmentation spontanée de la ventilation compense l'hypoxie. Au delà, cette défense naturelle est dépassée. De plus, l'hyperventilation a un effet pervers : elle diminue le taux de CO2 dans le sang puisqu'elle tend à mieux l'éliminer. Or on s'en souvient, c'est l'augmentation du CO2 qui donne l'alerte de l'asphyxie et entraîne l'hyperventilation. Sa diminution ralentit la ventilation, cercle vicieux !

L'hyperventilation provoquée lorsqu'elle est exagérée, entraîne des désordres en plus de ceux entraîne l'hypoxie qu'elle ne corrige d'ailleurs qu'imparfaitement. L'hyperventilation volontaire qui vise à corriger l'hypoxie, devra donc être ample, calme, bien contrôlée. Jusqu'à 3000 m on n'observe pas de troubles réellement pathologiques mais certains montrent déjà des signe d'excitation sur un mode euphorique.

Ils sont heureux, peut être drôles, mais en danger. Ce jour là, il devraient pas monter plus haut.

À partir de 3000 m, les troubles apparaissent. Ils sont essentiellement constitués de désordres physiques. C'est le neurone qui souffre en premier et le plus de l'hypoxie. Troubles de l'attention et du jugement tels que celui qui n'avait pas encore agrafé sa sangle de poitrine risque fort de ne plus s'en soucier.

Au delà de 5000 m, on est en zone dangereuse., la coordination motrice est perturbée. Les sorties risquent d'être fort désordonnées et avant que la chute n'ai corrigé l'hypoxie, les relativeurs auront perdu bien des points.

On observe également des troubles sensoriels, surtout visuels, des céphalées quelques fois intenses, de survenue brutale, des sensations de lassitude que traduisent des bâillements intempestifs, des soupirs profonds.

L'hypoxie a donc sur le système nerveux des conséquences qui concernent directement la sécurité des chuteurs. Associez des troubles de l'attention à de l'incoordination motrice puis essayez de rentrer dans une grande formation : bonjour les dégâts ! De plus, lorsque le trouble à lieu, il entraîne évidement un enchaînement d'incidents et d'erreurs en cascade, qui créent, on s'en doute, un état de stress qui peut se répercuter jusqu'au dernier virage.

Performances

VO2/altitude

L'O2 étant indispensable à l'effort musculaire, l'hypoxie, on doute, diminuera performance sportive. L'aspect physiologique de la performance se mesure par la valeur de la consommation maximale d'O2 dont est capable le sujet au cours d'un exercice sportif poussé. C'est le V.O2 max.

Sur la figure 4 on constate la diminution de la V.O2 max. en fonction de l'altitude. La courbe est régulière mais là encore aux hautes altitudes là diminution de la performance s'accentue.

À 5000 m la V.O2 max. est diminuée de 30% quelque soit la V.O2 max. au sol.

Les athlètes de haut niveau qui visent les titres mondiaux dans notre sport doivent donc développer leur V.O2 max. pour pouvoir relativiser cette diminution inéluctable de leur capacité en altitude.

Notre sport exige des V.O2 max. élevées mais il ne les développe pas lui-même. Il faut donc que les athlètes travaillent leur V.O2 max. par des pratiques appropriées autres que le parachutisme.

Facteur personnel

Bien que soumis aux mêmes contraintes les individus ne réagissent pas tous de la même façon. Et un même individu ne réagit pas lui même toujours de la même façon. Ne cherchez pas à faire plus que le voisin, ni plus que vous ne pouvez faire ce jour-là.

Le seuil moyen de 6000 m à partir du quel les crises sont inéluctables : malaises, syncope, plus grave même, est variable d'un individu à l'autre et également variable chez un même individu.

Tous les troubles que nous avons décrits dans les zones précédentes sont évidemment encore plus présents.

Les désordres physiques peuvent être au stade de la confusion mentale et de l'absurdité comportementale, la ventilation et le rythme cardiaque encore plus accélérés.

Si les facteurs négatifs que nous avons déjà soulignes : âge avance, mauvaise hygiène de vie, santé générale déficiente doivent être bien apprécies, il reste que l'on peut quand même lutter spécifiquement contre l'hypoxie.

Préventivement par un entraînement sportif qui améliore la V.O2 max., c'est-à-dire la capacité à utiliser l'O2, mais aussi par l'apprentissage de la maîtrise de soi. Le stress est un facteur qui aggrave l'hypoxie et il faut apprendre à bien le gérer.

En situation, pour s'en protéger, il faut savoir ventiler calmement, amplement. Dans notre pratique, à cabine non pressurisée, l'inhalation d'O2 est la seule mais efficace méthode.

Bien se connaître. Être objectif et honnête dans l'appréciation de sa forme avant et pendant la montée en altitude. Inhaler de l'O2 qui devrait être proposé à partir de 5000 m, ou savoir faire redescendre l'avion en cas de doute sont les gages d'une bonne gestion du risque hypoxique.


Cette page est faite à partir d'un texte de Jean Louis GARELLO paru dans ParaMag n°110 de Juillet 96. Elle avait disparu du web (site existenciel). L'EPSBA est heureuse de lui redonner vie avec l'autorisation de son auteur.

 

Mise à jour du 12-11-2015 à 17:46

 
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